Étape essentielle et obligatoire au développement de nouveaux traitements contre le cancer, les essais cliniques en oncologie ont pour objectif d’améliorer la prise en charge et la guérison des patients. Participer à un essai clinique permet de bénéficier d’un traitement innovant qui n’est pas encore disponible sur le marché.
Qu’est-ce qu’un essai clinique en cancérologie ? Comment participer à un essai clinique contre le cancer ? Pourquoi ne sont-ils pas plus répandus ?… Entretien avec le Docteur Antoine Bruna, oncologue-radiothérapeute à la Clinique Conti qui collabore très régulièrement avec l’Institut Gustave Roussy sur ces thématiques.
Qu’est-ce qu’un essai clinique ?
Les molécules qui composent les traitements sont d’abord mises au point en laboratoire. C’est ce que l’on appelle la recherche fondamentale. Après avoir été testées sur des animaux – toujours en laboratoire- elles sont testées sur des humains. C’est la recherche clinique via des essais cliniques.
Le Docteur Bruna explique que les essais cliniques en oncologie sont des « études scientifiques rigoureuses très encadrées ». Les essais cliniques sont menés sur des patients atteints de cancer à tous les stades de la maladie, volontaires pour évaluer de nouveaux traitements. Ils permettent d’évaluer le dosage, l’efficacité et la tolérance de nouveaux traitements avant de les proposer à tous les patients concernés.
L’objectif est d’améliorer les options thérapeutiques, d’identifier des méthodes plus efficaces, et de progresser dans la lutte contre la maladie.
Les essais cliniques nécessitent une logistique importante. Ils sont menés par des promoteurs (laboratoires pharmaceutiques, centres hospitaliers) qui portent la responsabilité de l’étude et son financement. Une équipe de recherche médicale dédiée encadre chaque essai clinique. L’équipe de recherche s’appuie sur une attachée clinique qui garantit la collecte et la qualité des données scientifiques recueillies au cours de l’étude clinique.
Les quatre phases des essais cliniques
Les traitements sont testés en quatre étapes de 1 à 4 appelées phases. Chaque phase a des patients et des objectifs spécifiques.
Phase 1, l’efficacité du traitement sur l’homme :
Dans cette phase initiale, le traitement est testé sur un petit groupe de patients pour évaluer son efficacité, la dose à prescrire et sa toxicité. La phase 1 concerne peu de patients (30 à 50) durant plusieurs mois. Si l’essai en phase 1 est concluant, le traitement est testé en phase 2.
Phase 2, la confirmation de l’efficacité du traitement :
La phase 2 implique un groupe de patients plus large pour confirmer l’efficacité du traitement. La phase 2 concerne une centaine de patients pendant plusieurs mois Si l’essai en phase 2 est concluant, le traitement est testé en phase 3.
Phase 3, la confirmation à grande échelle :
Le traitement prometteur passe à une étude de grande envergure, en le comparant aux normes actuelles (par tirage au sort ou randomisation) pour confirmer son efficacité et évaluer les effets secondaires à long terme. La phase 3 peut concerner jusqu’à 1000 patients pendant un an ou plus.
Phase 4, la surveillance post-commercialisation :
Le traitement a prouvé son efficacité. Une fois approuvé, le traitement est surveillé de près chez un large éventail de patients pour détecter d’éventuels effets secondaires rares ou prolongés. La phase 4 peut concerner plusieurs milliers de patients un an ou plus.
Comment intégrer un essai clinique contre le cancer ?
Pour participer un essai clinique, les patients doivent remplir un certain nombre de critères très stricts, appelés « critères d’éligibilité » comme l’âge, le sexe, l’étendue de la maladie, l’état général du patient (…). Les critères d’éligibilité sont spécifiques à chaque essai.
« Concrètement » précise le Docteur Antoine Bruna « la prise en charge d’un patient dans un essai clinique est très encadrée ». « Le cas d’un patient est partagé en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). C’est à l’occasion de ces échanges que sont identifiées les opportunités de lui proposer un essai clinique, quand sa pathologie et les critères correspondent à l’essai. Le médecin qui suit le patient lui présente ensuite l’essai clinique et ses enjeux. Si le patient est volontaire, un questionnaire est rempli et envoyé au centre qui effectue l’essai clinique. Le patient est alors convoqué dans le centre pour vérifier qu’il remplit bien les critères, en lui faisant passer des examens spécifiques. Lorsque le patient valide tous les critères, il entre dans un bras de recherche ou groupe de participants qui reçoit le même traitement. Il est pris en charge par l’équipe de recherche médicale. Le traitement peut être administré soit de façon ouverte (connaissance du traitement) soit de façon aveugle (le traitement n’est pas communiqué au patient ni au pharmacien qui lui fournit, pour éviter le biais des effets secondaires notamment). Si l’essai est positif, le patient suit le traitement sur une période qui peut aller jusqu’à deux ans. Dans le cas contraire, l’essai clinique s’arrête pour lui et il reprend sa prise en charge habituelle auprès de son praticien. »
Le suivi protocolisé des patients durant les essais cliniques
Les patients qui entrent dans un essai clinique bénéficient d’un suivi particulier durant l’étude selon un protocole défini. En effet, un essai clinique prévoit une surveillance du patient tout au long du déroulement de l’essai, afin de vérifier l’efficacité, la tolérance et les effets secondaires du traitement. Pour cela, le patient bénéficie d’une prise en charge spécifique, visites de suivi régulières et cadencées, et analyses de contrôle supplémentaires approfondies comparées à la prise en charge habituellement réalisée.
Les freins aux essais cliniques en cancérologie
Le Docteur Antoine Bruna reconnait que les principaux freins aux essais cliniques sont :
l’accès à l’information et l’accès aux essais en eux-mêmes à cause de la logistique à mettre en place.
Les médecins ont un problème de capacité (temporelle) à faire de la veille sur la recherche. « Il y a une réelle complexité pour le médecin de penser à faire rentrer ses patients dans des essais cliniques. Il arrive que l’on identifie trop tard l’éligibilité d’un patient…La sélection a été faite en amont et on ne peut plus participer à l’étude. C’est pour cette raison que toutes les initiatives qui permettent de fluidifier l’information sur les études cliniques sont les bienvenues notamment via les technologies numériques (applications)…Même si les bases de données ne sont pas suffisamment mises à jour, c’est un accès supplémentaire à l’information. »
La logistique est également un frein considérable. L’accès aux essais dépend de la localisation du patient qui ne peut suivre pendant des mois un protocole rattaché à un centre situé à plusieurs centaines de kilomètres de son domicile.
« En Ile de France, nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur une logistique conséquente avec les équipes de recherche de l’Institut Curie et Gustave Roussy avec lesquelles nous collaborons régulièrement. »
Les essais cliniques offrent une lueur d’espoir dans le traitement du cancer, mais il est crucial de surmonter les freins pour garantir une participation plus large. L’accès à l’information, la logistique sont des éléments essentiels pour surmonter ces freins et garantir que chaque patient puisse potentiellement bénéficier des avancées médicales prometteuses.
« Toutefois », précise le Docteur Antoine Bruna, « Il ne faut pas vendre du rêve avec les essais cliniques. Ils sont mis en œuvre pour vérifier et prouver l’efficacité d’un traitement. Parfois les résultats sont prometteurs, parfois cela ne fonctionne pas et le traitement sur lequel on s’était enflammé en phase 1 peut tout à fait être abandonné sur les phases suivantes… »
Antoine Bruna est onco-radiothérapeute. Il prend en charge tout type de cancer de l’adulte, pour le bilan, la prise en charge en chimiothérapie et en radiothérapie et la surveillance après traitement. Il consulte au Centre de Radiothérapie et d’Oncologie Médicale à Osny (95) ainsi qu’à la Clinique Conti à L’Isle-Adam (95).
Antoine Bruna est Docteur en médecine de la faculté de médecine de Nancy, titulaire d’un DESC d’oncologie médicale de l’Université Paris 11 – Kremlin-Bicêtre, et d’un DES de cancérologie option radiothérapie de la faculté de médecine de Nancy. Il est ancien Chef de clinique de l’Institut Gustave Roussy à Villejuif (94) en radiothérapie et ancien interne du Centre Alexis Vautrin de Nancy.
Sources : https://www.gustaveroussy.fr/fr/les-essais-cliniques